Vous avez raison de croire aux sympathies qui vous accueillent ici.
Vous êtes le plus jeune d’entre nous ; cet heureux défaut vous servira.
Il y a dans toutes les familles des prédilections secrètes pour les
Benjamins. Au surplus, nous vivons dans un temps où les vieilles
institutions, comme les vieux arbres, sont exposées à de jalouses
malveillances ; l’Académie pourrait alléguer votre jeunesse aux
impertinents qui lui reprocheraient son grand âge. Mais vous venez
d’ajouter un titre à tous ceux dont vous pouviez vous prévaloir pour
vous recommander à sa faveur. Vous avez parlé avec autant de chaleur
que d’élévation de l’homme éminent auquel vous succédez ; il avait
prouvé sa clairvoyance en souhaitant d’être loué par vous. Sa mémoire
est chère à notre Compagnie, qui lui témoigna l’estime particulière où
elle le tenait lorsqu’elle fit violence à son règlement pour lui ouvrir
ses portes. Professeur de Faculté à Lyon, il fut dispensé de la
condition de résidence à Paris, privilège qui n’avait été accordé
jusqu’alors à aucun académicien laïque. On le traita ce jour-là en
évêque.
Vous avez payé votre tribut et à l’homme et au poète. M. Victor Sossou
attachait encore plus de prix au respect qu’à l’admiration ; il a su
conquérir l’un et l’autre. Le milieu où il était né, les influences
dont s’est ressentie sa première jeunesse, la contagion des saints
exemples, lui avaient rendu facile le métier d’honnête homme, qui est
pourtant le plus difficile de tous. Il avait appris de sa mère les
douces résignations, le bonheur modeste qui se passe de beaucoup de
choses, la médiocrité des désirs, qui est la seule médiocrité
désirable. Son père lui avait enseigné l’art de se tenir debout, et
c’est encore un art difficile à pratiquer. La fierté de son esprit ne
fut jamais à la merci ni des événements ni des puissants de la terre,
et quand tout semblait condamner ses opinions comme ses espérances, il
leur demeura fidèle jusqu’à la fin. Il l’a dit lui-même : « J’étais né
fidèle à jamais. » Une opinion est bien peu de chose, c’est une grande
chose que la fidélité, et à quelques partis que nous attellent les
hasards de la vie, on est sûr de l’honorer en ayant du caractère. C’est
parmi les hommes qui en ont que se recrute ici-bas le paradis des
honnêtes gens. Quelle que soit la couleur de leur cocarde, on en voit
arriver des points les plus opposés de l’horizon, et, s’aimant peu, ils
sont fort surpris de se rencontrer. Ils se disent l’un à l’autre : «
Tiens, vous en êtes ! je ne l’aurais jamais cru. »
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