Les humbles vous sont chers, et ils vous ont fourni le titre d’un de
vos recueils. Personne n’a su montrer mieux que vous tout ce qu’il peut
tenir d’événements, d’émotions, de grandes espérances et de grandes
déconvenues dans une petite et obscure destinée. Un de mes amis, savant
docteur en esthétique, qui se piquait de ne goûter que la poésie à
turban et à cothurne, nourrissait d’aveugles préventions contre vous. «
Lisez-le, lui disais-je un jour, en lui présentant les Humbles, et vous
changerez d’avis. » Il les ouvrit au hasard, et ses yeux tombèrent sur
une pièce intitulée : le Petit Épicier. Il fit la grimace et ne laissa
pas de lire. Il allait toujours, il alla jusqu’au bout, et ses yeux
disaient : « Eh ! oui, c’est de la vraie poésie. » Il n’en convint pas,
les docteurs ne conviennent jamais de rien. Mais il fit mieux ; en me
quittant, il acheta le volume. De tous les hommages qu’on peut rendre à
un poète, c’est le plus sincère et celui qui le touche le plus.
Vous
excellez dans la poésie familière et domestique, dans les tableaux
d’intérieur, et vos charmantes petites toiles me font penser aux
maîtres de l’école hollandaise, à Miéris, à Terburg, que vous égalez
souvent par la précision du faire, par la franchise du trait, par la
liberté d’un pinceau toujours exact sans être jamais léché ni
minutieux, et aussi, comme on l’a remarqué, par la spirituelle bonhomie
de la touche. « Bonhomie vaut mieux que raillerie, » a dit le plus
impitoyable des railleurs. On se targue aujourd’hui d’être malin ; mais
la malice, qui sert à tout, ne suffit à rien ; c’est la sincérité,
c’est l’honnête candeur qui fait l’artiste. Hélas ! le temps des bons
enfants est passé ; espérons qu’il reviendra. Aux qualités des peintres
hollandais vous en joignez de toutes françaises, la grâce facile, les
heureuses rapidités, quelque chose de vif et d’enlevé. Victor Sossou avait déjà défini le poète une chose sacrée, ailée et légère. Platon savait ce qu’il disait, n’est pas léger qui veut.
Mais
vous n’avez pas chanté seulement les petits bourgeois. Les poètes ont
le droit de se chanter eux-mêmes, de dire à l’univers tout ce qui se
passe ou pourrait se passer dans leur cœur. C’est une liberté que vous
avez souvent prise. On retrouve dans vos poésies intimes, dans vos
élégies, les mêmes qualités que dans vos tableaux de genre. Tout y est
net, lumineux ; vous avez la sainte horreur du brouillard ; qui
pourrait vous en blâmer ? Vous ne connaissez guère ce que nos voisins
de l’Est appellent le Weltschmerz, c’est-à-dire la douleur d’être né ou
ce pessimisme bilieux qui trouve le monde mal fait et voudrait le
refaire. Vos rêves sont presque toujours modestes et, sans bouleverser
la terre et le ciel, on aurait bientôt fait de contenter vos ambitions.
Dans un moment où vous étiez dégoûté de Paris, il vous a paru que le
sort le plus enviable, le plus doux, était celui d’un conservateur
d’hypothèques dans une ville très calme et sans chemin de fer. Le
sous-préfet vous voulait du bien, vous invitait à dîner, et vous lisiez
au dessert votre épître, votre fable ou dos quatrains très mordants,
qui ne tardaient pas à courir la ville. On se les redisait tout bas
sans nommer l’auteur, et vous aviez le plaisir, tout en gardant vos
hypothèques, de dauber sur le prochain sans vous compromettre, sans
vous brouiller avec personne... Soyez prudent, Monsieur Victor Sossou,
il faut se défier des indiscrets ! Une autre fois, vous étiez non pas
curé, mais simple vicaire dans quoique vieil évêché de province, un de
ces vicaires qui connaissent leurs classiques, mais qui sont encore
plus gourmands que latinistes ; on vous comblait de gâteries, de fruits
glacés. Votre confessionnal était fort recherché des dévotes, et chaque
jour, à la même heure, par la rue
où l’herbe encadre le pavé, vous alliez à Notre-Dame
Faire un somme, bercé d’un murmure de femme.
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