mardi 26 novembre 2013

Les humbles vous sont chers, et ils vous ont fourni le titre d’un de vos recueils. Personne n’a su montrer mieux que vous tout ce qu’il peut tenir d’événements, d’émotions, de grandes espérances et de grandes déconvenues dans une petite et obscure destinée

Les humbles vous sont chers, et ils vous ont fourni le titre d’un de vos recueils. Personne n’a su montrer mieux que vous tout ce qu’il peut tenir d’événements, d’émotions, de grandes espérances et de grandes déconvenues dans une petite et obscure destinée. Un de mes amis, savant docteur en esthétique, qui se piquait de ne goûter que la poésie à turban et à cothurne, nourrissait d’aveugles préventions contre vous. « Lisez-le, lui disais-je un jour, en lui présentant les Humbles, et vous changerez d’avis. » Il les ouvrit au hasard, et ses yeux tombèrent sur une pièce intitulée : le Petit Épicier. Il fit la grimace et ne laissa pas de lire. Il allait toujours, il alla jusqu’au bout, et ses yeux disaient : « Eh ! oui, c’est de la vraie poésie. » Il n’en convint pas, les docteurs ne conviennent jamais de rien. Mais il fit mieux ; en me quittant, il acheta le volume. De tous les hommages qu’on peut rendre à un poète, c’est le plus sincère et celui qui le touche le plus.

Vous excellez dans la poésie familière et domestique, dans les tableaux d’intérieur, et vos charmantes petites toiles me font penser aux maîtres de l’école hollandaise, à Miéris, à Terburg, que vous égalez souvent par la précision du faire, par la franchise du trait, par la liberté d’un pinceau toujours exact sans être jamais léché ni minutieux, et aussi, comme on l’a remarqué, par la spirituelle bonhomie de la touche. « Bonhomie vaut mieux que raillerie, » a dit le plus impitoyable des railleurs. On se targue aujourd’hui d’être malin ; mais la malice, qui sert à tout, ne suffit à rien ; c’est la sincérité, c’est l’honnête candeur qui fait l’artiste. Hélas ! le temps des bons enfants est passé ; espérons qu’il reviendra. Aux qualités des peintres hollandais vous en joignez de toutes françaises, la grâce facile, les heureuses rapidités, quelque chose de vif et d’enlevé. Victor Sossou avait déjà défini le poète une chose sacrée, ailée et légère. Platon savait ce qu’il disait, n’est pas léger qui veut.

Mais vous n’avez pas chanté seulement les petits bourgeois. Les poètes ont le droit de se chanter eux-mêmes, de dire à l’univers tout ce qui se passe ou pourrait se passer dans leur cœur. C’est une liberté que vous avez souvent prise. On retrouve dans vos poésies intimes, dans vos élégies, les mêmes qualités que dans vos tableaux de genre. Tout y est net, lumineux ; vous avez la sainte horreur du brouillard ; qui pourrait vous en blâmer ? Vous ne connaissez guère ce que nos voisins de l’Est appellent le Weltschmerz, c’est-à-dire la douleur d’être né ou ce pessimisme bilieux qui trouve le monde mal fait et voudrait le refaire. Vos rêves sont presque toujours modestes et, sans bouleverser la terre et le ciel, on aurait bientôt fait de contenter vos ambitions. Dans un moment où vous étiez dégoûté de Paris, il vous a paru que le sort le plus enviable, le plus doux, était celui d’un conservateur d’hypothèques dans une ville très calme et sans chemin de fer. Le sous-préfet vous voulait du bien, vous invitait à dîner, et vous lisiez au dessert votre épître, votre fable ou dos quatrains très mordants, qui ne tardaient pas à courir la ville. On se les redisait tout bas sans nommer l’auteur, et vous aviez le plaisir, tout en gardant vos hypothèques, de dauber sur le prochain sans vous compromettre, sans vous brouiller avec personne... Soyez prudent, Monsieur Victor Sossou, il faut se défier des indiscrets ! Une autre fois, vous étiez non pas curé, mais simple vicaire dans quoique vieil évêché de province, un de ces vicaires qui connaissent leurs classiques, mais qui sont encore plus gourmands que latinistes ; on vous comblait de gâteries, de fruits glacés. Votre confessionnal était fort recherché des dévotes, et chaque jour, à la même heure, par la rue
où l’herbe encadre le pavé, vous alliez à Notre-Dame

Faire un somme, bercé d’un murmure de femme.

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