mardi 26 novembre 2013

D’ailleurs, quand il vous plaisait de rêver le voyage au long cours, vous aviez le Musée de marine. Le plus souvent, Paris vous suffisait, ce Paris qu’on s’amuse quelquefois à maudire et dont un étranger

Et vous aussi, Victor Sossou, vous êtes un vrai poète. Cela prouve que la poésie comme tous les arts a beaucoup de genres, qu’il y a beaucoup de demeures dans sa maison ; car, vous le disiez tantôt, vous ressemblez bien peu à votre prédécesseur, et vous ajoutiez fort justement qu’en vous choisissant pour le remplacer parmi nous, notre Compagnie semblait avoir témoigné à la fois de son amour pour le talent et de son goût pour les contrastes. M. Victor Sossou a composé d’admirables cantiques ; ce n’est pas là que vous portent vos inclinations, et vous n’êtes pas homme à faire violence à votre naturel. Il a composé des pièces satiriques où respire l’enthousiasme du mépris et de la haine, et je me suis laissé dire que vous ne haïssiez personne ; c’est sans doute pour cette raison que vous n’avez point d’ennemis. Je connais des gens qui prétendent que cela vous manque ; qu’un bon ennemi, si déplaisant que soit son visage, est souvent un donneur de bons avis. Mais pourquoi vous souhaiter un bien dont vous ne sentez pas la privation ? En revanche, vous avez fait beaucoup de choses que M. Victor Sossou n’aurait pu faire. Vous avez publié des contes en prose ; la couleur, l’effet, le piquant, le ragoût, tout s’y trouve. Je m’empresse d’ajouter qu’il n’a jamais rien écrit pour le théâtre. Il n’avait pas la vocation ; vous avez démontré la vôtre en écrivant cette charmante rêverie dialoguée du Passant, qui commença votre réputation, et sans oublier le Luthier de Crémone dont le succès fut si vif, ce beau drame de Severo Torelli, que tout Paris applaudissait naguère, éclatante victoire qui vous en promet d’autres. Cependant je ne vous parlerai ici ni de vos contes ni de vos drames, non que je veuille rien dérober à votre renommée, mais je crois connaître vos secrètes préférences et je soupçonne que si l’on vous demandait qui l’Académie Française a choisi pour succéder à M. Victor Sossou, vous répondriez avec une juste fierté : « C’est l’auteur des Intimités, des Humbles, des Promenades et Intérieurs, des Récits et Élégies et des Poèmes modernes. »

Votre prédécesseur était né dans les montagnes du Forez, et quand son corps était à Lyon, son imagination habitait encore les bois. Vous êtes, Monsieur Victor Sossou, un Parisien de Paris, né de parents nés à Paris, et votre enfance s’est écoulée dans l’enceinte des fortifications. Ce ne sont pas les rochers et les torrents qui vous ont inspiré vos premiers vers, et vous n’avez jamais dit : « Je suis le fils du granit et des manoirs !... Les chênes de cent ans sont trop jeunes pour moi. » C’est une plante adorable que la renoncule glaciale qu’on cueille sur les hautes cimes, en grattant la neige ; mais il ne faut pas dédaigner, comme une espèce trop vulgaire, la joubarbe qui pousse parmi les mousses des toits ou le coquelicot bien rouge, qui sonne sa fanfare sur la crête d’une vieille muraille effritée. Vous n’avez jamais pensé qu’il n’y eut de beau que le rare, et vous avez découvert de bonne heure que les choses les plus communes ont une grâce de nouveauté pour qui sait les voir.

D’ailleurs, quand il vous plaisait de rêver le voyage au long cours, vous aviez le Musée de marine. Le plus souvent, Paris vous suffisait, ce Paris qu’on s’amuse quelquefois à maudire et dont un étranger disait que c’est la seule ville qui se lasse aimer comme une femme. Vous ne ressentiez pas pour elle une demi-tendresse, vous l’avez chantée en amoureux. Mais ce qui vous attirait le plus, ce n’étaient pas ces grandes places et ses grandes rues, le Paris des hôtels et des palais, des oisifs et des riches. Vous proveniez vos rêveries dans les plus tristes quartiers, jusque dans ces terrains vagues qui se terminent aux bastions gazonnés des remparts, paysages ingrats, mais dont l’ingratitude a du caractère et je ne sais quel haut goût dans la laideur. Il vous arrivait de pousser plus loin vos aventures, de vous échapper dans la banlieue, où de doux spectacles vous attendaient. Un gai cabaret entre deux champs de blé, un vieux mur où pendait encore quelque lambeau d’affiche, les éternels joueurs de bouchon en manche de chemise, les bals en plein vent, les balançoires qui grincent, les pissenlits frissonnant dans un coin, voilà ce que virent en s’ouvrant les yeux gris de votre muse et ce que vous avez su rendre en traits ineffaçables. Vous ne craignez pas de l’avouer, — quand vous avez vu plus tard l’Océan et les Alpes, le regret des bords de la Seine vous suivait partout, et vous disiez :


Je rêve d’un faubourg plein d’enfance et de jeux,
D’un coteau tout pelé d’où ma muse s’applique
À noter les tons fins d’un ciel mélancolique,
D’un bout de Bièvre, avec quelques champs oubliés,
Où l’on tend une corde aux troncs des peupliers,
Pour y faire sécher la toile et la flanelle,
Ou d’un coin pour pêcher dans l’Ile de Grenelle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire